Le café ça rend meilleur ! (PV Yitzhak Anavim)

Depuis quelques mois, je multipliais les meetings et rendez-vous avec des sociétés et politiciens pour élaborer un plan de gestion de la crise. Le savoir-faire de Genosha en matière de mutants était devenu essentiel, qu’on approuve ou non leur intégration dans la société. Nous possédions des technologies de pointe pour lutter contre les éléments les plus dangereux avec des stratégies adaptées à un panel varié de mutations mais aussi des technologies qui permettaient l’intégration de chacun dans une ville sécurisée pour tous. J’essayais bien sûr de mettre cet argument le plus en avant possible pour convaincre les cons qui pensaient que tout allait s’effondrer. Les dérives de Mutant Town étaient juste symptomatiques d’un gouvernement qui n’avait jamais voulu considérer sérieusement le problème. Beaucoup se méfiaient encore de moi car l’aubaine que la situation représentait pour Genosha pourrait paraître suspecte et je le leur accordais bien volontiers. Mais les dérives de Mutant Town n’allaient pas non plus en notre faveur. Elles avaient même tendance à favoriser les levées de bouclier contre mon parti. Beaucoup de personne étaient en détresse à cause de l’extrême violence de certains quartiers qui débordaient parfois hors des limites qu’ils s’étaient octroyées. Beaucoup de destructions et de morts. Mais ce genre de point de vue bêtement « contre » ne faisait que laisser pourrir la situation. On ne pouvait pas lutter efficacement contre un problème qu’on refusait de bloc. Je crois réellement que les gens aiment les drames et passer leur temps à se convaincre que les solutions n’existent pas pour souffrir encore un peu plus.

Ça pouvait paraître épuisant mais on ne peut pas dire que j’aie jamais eu la moindre foi réelle envers l’humanité, mutante ou pas. Je crois juste que, dans l’ensemble, il vaut mieux que les gens n’essayent pas de penser et se laissent gérer. J’ai passé du temps à éliminer des personnes dont les idées n’allaient pas dans le bon sens sans réel résultat. D’un côté, je le faisais sans programme, juste pour me défouler, tester des plans et des armes. Je crois être arrivé à une sorte de maturité, j’ai envie d’un projet sur le long terme, d’un vrai résultat de société et ça doit passer par d’interminables réunions qui ne peuvent pas se réduire en menaçant quelqu’un avec un flingue sur la tempe. Le plus ennuyeux dans tout ça, c’est que je me retrouve avec des emplois du temps mal optimisés comme à l’université, comme 1h30 de vide total entre deux réunions dans le même quartier. Et qu’est-ce qu’on peut bien faire de pertinent en 1h30 ? Rien. C’est à la fois extrêmement long et trop court pour aller ailleurs et envisager la moindre chose sérieuse. En plus, bien sûr, il faut que ça tombe à une heure de pointe, le moment où les gens déjeunent ou petit-déjeunent, je sais pas, c’est bientôt midi, et ça fait longtemps que j’ai oublié ce que c’était d’avoir repas réguliers à heure fixe avec des « thématiques » sucrées ou salées. Trop de règles qui ne servent à rien. Au moins, vu la foule, je peux entendre les conversations d’un peu tout le monde en améliorant mes capteurs auditifs pour me concentrer sur l’une ou l’autre. J’entends beaucoup d’arguments vides de gens qui se sentent malins en répétant des phrases toutes faites de journaux, mais c’est vaguement divertissant, même si je dois résister pour ne pas intervenir parfois quand j’entends vraiment n’importe quoi. C’est bien les robots au fait, c’est moins contrariant. Ça me donne quand même l’idée d’essayer d’identifier les personnes qui se montrent les plus opposées à l’instauration définitive d’une société mutante, un vieux réflexe, toujours connaître ses ennemis et ses opposants. J’ouvre donc un projecteur d’ordinateur numérique sur ma table, un petit outil bien pratique qui me connecte directement à mes disques dur. Possible que ça attire l’attention mais c’est pas trop grave, personne peut se douter des trucs tordus que je suis en train de faire.

Pour passer le temps, j’ai aussi commandé n’importe quoi, un chocolat chaud et une assiette de pâtisseries à donner le diabète. J’ai pas particulièrement faim mais j’avais pas trop d’idées de quoi prendre alors j'ai pris tout ce qui avait l'air cool et coloré. Quand les gens ne s’attardent pas en passant sur mon matériel holographique, ils jettent un regard perplexe à mon assiette assez peu compatible avec mon physique. Ils doivent pas me penser capable d’avaler tout ça ou en grave dépression pour chercher à nuire à ce point à mon régime. J’avais même pas remarqué qu’un type était à ma table tenez. Même si je suis tout seul actuellement, je trouve toujours bizarre de voir des gens tous seuls dans un café, surtout quand ils ont l’air de rien faire. Pire, il a même l’air saoulé d’être là, ou un peu suspicieux des gens autour en tout cas. Trop bizarre. Je le regarde un instant, sans gêne : bah oui, il est bizarre, il y a rien d’étonnant à le fixer, non ?

– C’est toujours aussi bondé à cette heure ou je suis tombé sur le mauvais jour ?

Ouais, je lance la conversation comme ça, je me sens obligé parce que ça me semble étrange d’ignorer une personne toute seule à table et, surtout, on sait jamais, ça peut toujours être plus divertissant qu’écouter passivement des conversations à moitié vides sur lesquelles on ne peut pas avoir d’impact sans passer pour le cinglé du coin.