Alors, tu me fais visiter le parc ? [Ivy]

« Pour vraiment s’isoler, il faudrait quitter la ville. Je l’ai déjà fait une fois, je suis allé vivre en forêt seul plusieurs mois. C’est là que j’ai rencontré mon ours. »

Son ours ? Je ne comprends pas mais je ne pose pas la question. Qu’il ait un ours pour animal de compagnie ou que ce soit une métaphore de son propre caractère, c’est un problème dont je ne veux pas. Je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’est pas une erreur, d’ailleurs. Peut-être est-il enfin décidé à parler de lui, à faire des pas en avant comme il le démontre en venant s’appuyer à mon côté. Cela étant dit, j’avais commencé à vivre en forêt également mais je n’ai eu le droit à plusieurs mois de tranquillité avant que l’humanité ne me rattrape.

Pour Neil, c’était agréable de ne se préoccuper de rien d’autre que de lui-même. A se demander pourquoi il se considère comme une bonne personne pour contrôler, du fait. Peut-être est-il revenu pour cela, peut-être est-ce cela le but de sa nouvelle existence. Peut-être est-ce cela le mobile de son meurtre, information plus compréhensible et utilisable que son ours, pour lequel il a été enfermé. Ainsi donc doit-il à la Grande Mutation sa liberté, lui aussi. Ainsi donc est-il prêt à tuer pour ses objectifs, lui. Si j’étais comme lui, je n’aurais pas à quitter la ville pour y être tranquille. Juste à empoisonner ses réserves d’eau ou à modifier certaines plantes au pollen allergène. Humains comme mutants, ils ne survivraient pas longtemps et ne pourraient vraiment le combattre avec leurs gros pouvoirs. C’est peut-être une nouvelle erreur de ma part, ainsi refuser d’employer intelligemment et violement mes capacités. Cela me met à la merci de gens qui le font, comme Neil semble l’être. Je ne sais pas comment réagir à sa joie sur le meurtre et la prison, ainsi ne le fais-je pas.

De ce que je comprends de lui, Neil a besoin de s’occuper. Il craint le prévisible. L’ennuyeux. Peut-être préférerait-il les parties plus estivales de ma personnalité, ou plus séductrices. Je n’en sais rien. Nous sommes en hiver, de toute façon, là où je suis le plus faible ; émotionnellement.

« Beaucoup de gens ont besoin d’aide ici. Je ne pense pas que l’enfance se détermine par un âge précis. Beaucoup d’adultes sont des enfants, ils sont naïfs, maladroits et pas très dégourdis. La plupart des gens qui vivent ici étaient dans la détresse avant que tout ne soit saccagé. J’essaye de les protéger mais… si tu me proposes un accord, je vais être clair sur le fait que ça n’est pas ma première motivation. »

Je détourne le regard du lointain pour venir fixer le jeune homme. Lui aussi agit après cette déclaration, bien que je ne comprenne pas bien ce qu’il fasse. Nous en sommes néanmoins à un point de compréhension important, s’il est vrai. Comme ce qu’il déclare ne vise pas à me tranquilliser, je n’ai pas à trop me méfier qu’il dise les choses pour me manipuler. Il est franc et semble honnête, ce qui peut être une technique de manipulation également ; via l’omission. Il ne se cache ni d’être dangereux ni d’être juge dans qui a le droit de contrôler les terres qui entourent les siennes. Je me demande si une alliance avec lui ressemblerait à terme à une vassalisation mais j’aurai moyen de retourner celle-ci à mon avantage. Temporiser et évaluer en attendant, cela me va.

S’il voulait vraiment aider les gens, Neil leur permettrait de le quitter ou "ferait en sorte de libérer la zone" ; à lui seul ? Est-il si puissant que cela ? Il en a l’assurance, il en a la présomption. Il ne semble pas en avoir l’égo, même si je suis probablement mauvaise juge de cela. Il admet apprécier la liberté de Mutant Town, avoir la volonté de faire une société autrement. Je comprends ces deux points. Je comprends comment il perçoit également les "civils" ; des otages. Des boucliers humains lui permettant de délayer une attaque de l’extérieur. Il veut utiliser ce temps pour développer une autarcie, sa nouvelle société indépendante, afin que le délai puisse devenir illimité. Enlever la pression sur les besoins de base, pour que l’extérieur pèse encore moins dans la balance ; quoi que le jour où ils couperont l’électricité, beaucoup voudront partir même s’ils sont nourris et logés.

"Bien sûr", Neil ne protège pas ceux qui participent au chaos ambiant ; je ne me sens pas concernée, pour lutter afin qu’il reste de l’autre côté de la Lisière.
"Bien sûr", Neil n’a jamais eu de pitié pour ceux qui abusent des faibles ; il ne me semble pas être trop dur envers lui-même, cependant.

J’ai néanmoins bien fait de montrer que ce n’était pas mon cas. Je n’abuse pas des enfants qui m’entourent. Pas plus que je ne les use comme boucliers humains. Les aide-je vraiment ? J’ai aidé Derek Taylor à quitter Mutant Town, n’ayant pas moyen ou envie de le faire à New Eden. C’est une aide véritable selon les critères énoncés par Neil. Pourtant, j’ai bien plus l’impression d’aider ceux qui restent à mes côtés. Ceux qu’on peut dès lors utiliser comme otages contre moi.

« Comme je ne fais partie ni des chaotiques ni des abuseurs, vous êtes donc disposés à me laisser mon territoire sans combattre, conclu-je en me tournant complètement vers lui, buste en avant. Sous réserve que je contribue à votre autarcie complète. Comme ce que je fais déjà ici. »

Mon visage s’est paré d’un doux sourire, non pas séduisant mais affable. Je cherche à voir sur lui s’il comprend que sans mes pouvoirs, sans ma volonté, il n’arrivera à rien de concluant pour son projet. Nos ambitions ne sont pas différentes, nos méthodes oui. Il use d’otages pour se protéger de l’extérieur, chez lui l’extérieur de Mutant Town, tandis que j’use de mes pouvoirs pour me protéger de l’extérieur, chez moi l’extérieur de New Eden, et de Mutant Town pour me protéger de ce qu’il y a au-delà. Une protection qu’il a peut-être l’intention de me faire payer, à y réfléchir.

Prenant une inspiration, je me redresse légèrement et me détourne afin de reprendre ma marche le long du Meadow Lake Bridge. J’ai bien l’intention de dépasser le Meadow Lake Drive, qui passe également sous le pont, pour recommencer à côtoyer mes arbres au plus vite. Le Meadow Lake Circle me semble un endroit plus adapté à la négociation, même s’il est lui aussi désormais recouvert d’arbres et de végétation.

« Enoncez votre offre, dis-je tout en poursuivant ma marche tranquille, je vous en prie. »